PRE-EN-BULLES....
Aujourd'hui 8 Mai 2012...Il aurait eu 74 ans...
Comme chacun qui l'a côtoyé de près ou de loin, comme la plupart de ses proches, de ses amis, de ses fans, de ses admirateurs, de ses collectionneurs, le 10 Mars
dernier, nous apprenions la disparition de Jean GIRAUD-MOEBIUS. Nos premières pensées ont été tout droit à cette famille recomposée, qui nous l'espèrons ne feront bientôt qu'une seule et même
famille : Claudine, Hélène, Julien, Isabelle, Nausicaa et Raphael pour la pérennité de son oeuvre incommensurable.
Bien que je ne maîtrise pas les outils informatiques et internet, j'avais depuis quelque temps envie de créer ce blog sur les éditions Sapristi (créé en Août 2011)
pour raconter l'histoire d'une aventure, pour ne pas oublier que pendant 20 ans, nous avions défriché le monde de la BD, via la rencontre de grands auteurs et de servir de tremplin à de jeunes
auteurs désireux de percer dans le monde des Bulles, bref, pour ne pas oublier et laisser une trace de tout le chemin parcouru.
J'avais donc commencé à rédiger un brouillon sur cette aventure et puis survînt la disparition de mon auteur fétiche. J'ai donc décidé de changer mon fusil d'épaule
et de rendre hommage dans un premier temps au plus génial, au plus talentueux des dessinateurs franco-belges, le Janus de la Bande Dessinée: Jean GIRAUD-MOEBIUS.
Entre l'Ombre et la Lumière...
Allez savoir pourquoi, j'ai été très vite touché par son travail depuis la première heure, probablement dès la
lecture de Blueberry dans les pages de Pilote. Toujours est-il que dès le 1er n° de Sapristi, en Novembre 1983, j'avais réalisé un semblant de bibliographie Gir/Moebius sur un encart
spécial de 8 pages centrales, à découper un peu à la façon des minis récits du journal Spirou. Je ne pouvais alors me douter que presque 40 ans après cette bibliographie
tiendrait à peine sur 200 pages , illustrations comprises.
Beaucoup d'entre nous l'avons côtoyé de près ou de loin et on retiendra tous son humilité et le fait d'être à l'écoute , de partager, de donner des conseils à
n'importe quel jeune auteur. Pour l'avoir invité aux 10 et 15 ème anniversaire de la revue Sapristi et après qu'il ait eu l'extrême gentillesse de nous recevoir 5 fois espacées de Juin 1992 à
Septembre 1993 pour concevoir un n° exceptionnel de 100 pages de Sapristi n°27 ,tiré à 2000 exemplaires et épuisé en 4 mois et consacré exclusivement à cet auteur de génie. 12 heures d'entretien
avec le Maître !!! Extraordinaire souvenir parmi d'autres....Certains précisent , dans leur éditorial, que cet homme était vraiment bon. Je ne peux que le confirmer.
Je tiens à préciser que toutes ces interviews ont été réalisées au domicile de Jean Giraud, en compagnie d'Olivier Maltret (actuel rédacteur en chef de Canal BD),
Régis Houlet (pour certaines photos très professionnelles réalisées en noir et blanc) et de Pascal Ledoux. Pour la plupart d'entre nous il reste et restera, comme Hergé, Franquin ou Gillain
(Jijé), comme l'un des dessinateurs les plus géniaux et des prolifiques de sa génération, celui qui aura appris de ces maîtres en les transgressant pour arriver à cette dualité reconnue par toute
la profession.
Les photos qui vont suivre ( et je les dédie à tous ceux qui ont côtoyé Jean de près ou de loin), relatent cette relation exceptionnelle, débutée à Angoulême
1992, où je propose à Jean d'être l'invité d'honneur, après Juillard et Tardi, de Sapristi (n°27) dont la date de parution est prévue dans le cadre du 10 ème annivarsaire de la revue en
Octobre 1993. Sur cette photo (un peu floue), au cours d'une séance de dédicaces sur le stand Casterman. En moins de 5 minutes, Jean me donne son accord et
rendez-vous est pris pour un premier entretien fixé courant Avril chez lui dans son pavillon de banlieue à Montrouge (qu'il n'a
d'ailleurs jamais quitté). Petite précision, Jean, à cette époque, était entouré de son agent d'affaires François
Breuillier avec lequel nous avons réussi à réaliser ces quelques interviews et Franck Bruneau qui était gérant de la société Stardom (alors sise au 2 rue
Voltaire dans le 11 ème arrondissement de Paris).
Juin 1992. La première rencontre dans son atelier, simple et encombré de dessins
originaux, de statuettes, d'une multitude de pinceaux , de crayons et de
rotrings. Accompagné par Olivier Maltret, le début d'une très longue interview commence côté pile: la face GIRAUD. Outre la cinquantaine de questions prévues à cet effet, je "profite" de cette première occasion pour lui faire signer la pochette de disque d'Eddy Mitchell "7 Colts pour Schmoll" sur laquelle il s'extasie pendant quelques minutes. Plus de 3 heures d'interview,
quelquefois interrompue de quelques coups de téléphone professionnels ou personnels...Mais déjà un Jean disponible, bavard, insatiable, répondant inlassablement à nos questions (même s'il avait
déjà dû répondre 100 fois aux mêmes!). L'après-midi se terminera à la Galerie Stardom où Jean, sous les regards attentifs de Claudine et Franck Bruneau,
devait impérativement signer quelques 250 exemplaires de la sérigraphie de la couverture de "Nez Cassé". Fin de la première rencontre. On repart satisfaits, la tête pleine de
souvenirs, avec une première cassette qui doit encore se trouver dans l'un des tiroirs de ma bédéthèque. Commence la longue et parfois fastidieuse phase de désenregistrement où l'on se replonge
intensément dans l'ambiance de l'entretien.
Novembre 1992, seconde entrevue. Jean nous accueille avec toute la
gentillesse qu'on lui connaît. La première interview a été retranscrite et mise en forme. On avait décidé d'un commun accord avec Olivier Maltret de la lui
faire relire et là, premier coup de chaud. Sur une vingtaine de pages d'interview présentées, Jean commence à raturer des phrases, parfois des paragraphes entiers. On se regarde avec Olivier et on décide d'un regard furtif mais complice de le laisser faire ses corrections, comme bon lui semble...Ce
n'était sûrement pas la chaleur de ce bel après-midi de Novembre mais quelques gouttes de sueur plus tard, on découvre le désastre: le 1/3 de l'interview
raturé ! A la sortie de ce second entretien, on se jure avec
Olivier qu'il ne nous y reprendrait plus. Plus question de lui faire relire sinon on s'exposait à un total désaveu de ce qu'il nous avait confié plus tôt. Régis Houlet, notre ami photographe, prend quelques clichés superbes
en noir et blanc pendant que nous posons la seconde salve de questions sur
la dualité Giraud/Moebius. 18 heures, Jean se rappelle brusquement qu'il a rendez-vous dans un café parisien où Jodorowsky fait un discours comme il avait l'habitude de le faire dans ces
années-là. Il nous demande de l'accompagner et de l e déposer devant ce café. Pour gagner du temps dans les embouteillages parisiens, Jean se propose même de conduire ma Peugeot Chorus 309. Je lui remets les clés et nous voilà embarqués à 4 dans la voiture. Régis en profitera pour prendre 2 ou 3 photos de
cette petite excursion vues de l'intérieur de la Chorus. Fin de la seconde entrevue.
Mai 1993... Cette fois, il fait vraiment chaud et Jean nous propose de faire ce
3 ème entretien dans son petit jardin. Pascal, mon frère, également admirateur de son oeuvre moebiusienne est venu assister en tant que Candide à cette interview. Questionnaire qui porte
essentiellement sur le côté Face : Moebius, ses débuts à Métal Hurlant, Hara-Kiri, ses rapports avec Castaneda, son cheminement via Appel Guéry, son voyage à Tahiti avec Claudine et ses enfants, et Burger. A l'époque, Jean s'est débarrassé de toutes ses addictions et se tourne vers
l'instinctothérapie, nouvelle discipline alimentaire qu'il s'impose à lui-même. On parle également beaucoup de l'influence qu'a Jodorowsky sur lui. Passionnant comme
d'habitude.
Parallèllement, l'idée qu'il soit l'invité d'honneur du 10 ème anniversaire de Sapristi, lui est soumise en lui promettant qu'il sera accompagné de Tardi et de
Margerin contactés au Festival d'Angoulême 93...et qui se désisteront au dernier moment. Jean, enthousiasmé par l'invitation, est le seul à avoir répondu présent. Fin du 3 ème acte...Bien
entendu, nous n'avons pas proposé à Jean de relecture de sa seconde interview...Et tout s'est bien passé.
Août et Septembre1993...Pas de vacances pour boucler ce numéro spécial qui doit sortir impérativement le 10 Novembre, date anniversaire. On met les
bouchées doubles et on passe au crible tout ce qu'il a fait en dehors de la BD. Cinéma d'abord avec retour sur les Maîtres du temps avec René Laloux, puis le projet de film sur
Blueberry avec un certain Mel Gibson, et un autre sur Starwatcher qui n'aboutira pas. ce ne sont ni les idées ni les projets qui lui manquent, d'autant plus qu'il doit maintenant, après la
disparition de Jean Michel Charlier, assurer le scénario de Blueberry.
Publicité ensuite avec les nombreux travaux publicitaires qu'il a réalisés. Outre Chaland, Floc'h, Tardi, c'est l'un des artistes les plus sollicités et il y excelle partout...On reviendra peut-être
sur ce sujet un peu plus tard, si le temps le permet et fera l'objet d'une
autre rubrique. Lors de cette entrevue, nous demandons à Jean qu'il nous dessine la couverture du numéro spécial, chose qu'il admet tout naturellement...Et effectivement, un mois plus tard, en la présence de son agent François Breuillier, il nous remet la couverture et rendez-vous est
pris à Dieppe pour la Grand'Messe du 10 ème anniversaire de la revue.
Le numéro est enfin prêt (enfin presque !). Outre les 5 entretiens retranscrits, on essaye de peaufiner le numéro avec une bibliographie concoctée par Jean Marc
Lofficier et Patrick Duhot, une liste de tous ses travaux publicitaires réalisée par Patrick Duhot , Michel Angot , et moi-même, un aperçu de toutes les pochettes de disques qu'il a illustrées.
Je n'oublierais pas de mentionner les collaborations précieuses de Jacques Dutrey pour la partie "Illustrations SF", de Philippe Morin (PLG), Gilles Ratier (Dommage), Louis Cance (Hop) pour la
partie "Participation aux Fanzines et Revues d'Etudes". je vous passerais les détails des réunions faites à la maison, des prises de têtes pour la réaliser la maquette, la mise en page et le
choix des illustrations. Il fallait couper telle ou telle partie de texte, telle ou telle photo, tel ou tel dessin. On était dans l'obligation de faire vite, avec les moyens du bord pour que ce
numéro spécial sorte bien à la date prévue. Comme on dit dans le jargon : "Tenir les délais", pire qu'un travail de journaliste.
La réalisation de l'affiche (avec hélas les noms des auteurs qui ne viendront pas : Tardi et Margerin) et du dépliant sont assurés par le service communication de
la Mairie de Dieppe.
Le grand week-end est enfin arrivé...Cela commence dès le vendredi 5 Novembre 1993 par l'inauguration officielle des expos
Giraud/Moebius et des 10 ans de la revue Sapristi. la Ville de Dieppe et tous ses acteurs culturels ont pris les choses très professionnellement en mains (je tiens ici à remercier personnellement
Christian Cuvilliez, Yves Lavieuville et Jean Claude Bisotto pour leur investissement personnel, Pierre Verbraeken -Les Infos Dieppoises- et Franck Boitelle -Paris Normandie , pour avoir fait
la couverture journalistique de cet évènement).
D'un côté la MJC Jacques Prévert accueillera le côté pile
Mister Giraud avec Blueberry. Le hall de la mairie de Dieppe accueillera le côté face Moebius avec des planches originales issues de "La Déesse". Une partie de
cette exposition, composée de plus de 60 planches originales, intitulée "Singulier, Pluriel" nous avait été prêtée gracieusement par une association qui
venait de réaliser une exposition en Belgique à La Louvière. Tout se passe relativement bien mais dans notre esprit...Il nous manque la matière , le Sapristi
n° spécial !
Samedi 27 Novembre....Le moment de stress. 10h30 du matin. On sonne à l'appartement. Livraison de 500
exemplaires sur 2000 prévus. Ouf ! Je respire un peu.. Pas le temps ni l'occasion de feuilleter le numéro. On embarque tous les colis dans la voiture car
tous les invités (certains sont arrivés plus tôt) ont été conviés en début d'après-midi à la MJC avec l'arrivée
prévue de Jean. Fidèle à sa promesse et accompagné de François Breuillier, Jean Giraud est ponctuel et est accueilli comme il se doit par la quasi totalité des proches collaborateurs de Sapristi (Jean Paul Pécréaux,
Jean Pierre Surest, Olivier Maltret, Olivier Petit, Stephan Lefebvre, Daniel Cagniard) et dessinateurs (Thierry Gioux, Hugues Labiano, Stéphane Boutel, Franck Isard, Jean Barbaud, Fabrice
Lamy)..
Sous les caméras de France 3 et après un long discours pour retracer ces 10 ans en la présence de tous les collaborateurs de Sapristi, diverses manifestations
furent prévues dans la ville avec une séance de dédicaces organisée à la Librairie Majuscule (ex Licorne pour les connaisseurs et où était déjà venu Franquin) avec Jean Giraud, Lamy et Gioux. Puis visite des expositions en fin d'après-midi, celle de
Blueberry (où sont exposées des planches d'Angel Face) et où Jean très accessible se prête au jeu des questions sur son univers et conseille même autour d'une table de salon improvisée quelques
dessinateurs amateurs dieppois venus présenter leurs planches. Un vrai lieu d'échange intemporel.
Début de soirée au Casino, le grand jeu organisé, après un cocktail réunissant tous les acteurs, autour d'un "Tac au Tac", puis d'un "Cadavre Exquis" ponctués d'un
"Quizz BD" où Jean nous surprend par sa virtuosité, par la vivacité et la force de ses dessins. Cela dure et perdure jusqu'à 21h-21h30...On n'est pas couché ! Il faut quand même penser restaurer tout ce beau monde. C'est au restaurant "Le Déjeuner sur l'Herbe" que nous honorons tous nos hôtes par un repas
très convivial. Il faudra attendre les 12 coups de Minuit pour que Jean Giraud nous aide lui-même à souffler nos 10 bougies. Fin de soirée vers 1 heure du matin. Tous les invités se dispersent.
Les auteurs regagnent leur suite au Casino de Dieppe, suites qu'on avait bien auparavant négociées auprès d'un certain Patrick Partouche (vous connaissez
?). Jean
m'avait précisé qu'il devait repartir très tôt le Dimanche matin et qu'il n'assisterait pas à la fin de la manifestation.
Dimanche 28 Novembre 1993, 9 heures du matin..Je l'attends déjà dans le hall du Casino
pour lui remettre quelques numéros et lui rendre l'original de la couverture. Accompagné de François Breuillier, Jean sort de l'ascenseur. Je lui remets une
bonne vingtaine de numéros, lui rend l'original.
Jean sort alors de sa veste un crayon en papier et ajoute au bas de sa signature : "Pour Alain...10 ans de Sapristi". Il vient tout simplement de m'offrir
l'original...Moment fugace que je n'oublierais jamais. A peine Jean et François partis, on doit se remettre au boulot, la journée n'est pas finie. Un dernier repas avec tous les auteurs et
proches de Sapristi et une dernière séance de dédicaces nous attendent encore avant de clôturer la manifestation...On ne savait pas encore que 5 années après il reviendrait à Dieppe mais ceci est
une autre histoire.
FIN DU PREMIER ACTE
ET POUR QUELQUES PHOTOS DE +
Journal de Bord - Novembre 1993
Arrivée de JEAN GIRAUD-MOEBIUS à la MJC de Dieppe
Jean GIRAUD & Alain LEDOUX - MJC Dieppe
Jean GIRAUD-MOEBIUS et L & A LEDOUX
Dédicace Jean GIRAUD - Librairie Majuscule
Cadavre exquis au Casino de Dieppe
P.DUHOT, F.BREUILLIER, J.GIRAUD et J.BARBAUD (de dos)
Olivier MALTRET, Alain LEDOUX & Daniel CAGNIARD alias Martin BETHISY
JP SUREST, S.LEFEBVRE, C.BRUN et J.GIRAUD
Alain LEDOUX & Jean Paul PECREAUX